Orianne Castel
Dans Mondrian (Blau/Weiß), 2001, l’artiste Tim Eitel dénonce la rigidité de l’abstraction géométrique en peignant un personnage coincé entre deux grilles, celle d’un tableau de Mondrian et celle formée par la barrière de la salle d’exposition dans laquelle le tableau est montré. Pour leur part, Mathieu Mercier et Yann Sérandour soulignent l’absurdité de l’art abstrait conçu comme modèle d’organisation politique de la société en employant les structures des tableaux de Mondrian pour agencer soit des objets triviaux (Drum and Bass (Home Design), 2002) soit des images prosaïques (Beppie’s Friends, 2017). Par ailleurs, lors de sa performance intitulée On the Road to a New Neo Plasticism (1971), Bas Jan Ader s’emploie à reconstituer une composition abstraite à l’aide d’une moquette bleue, de deux bidons rouge et jaune et de son propre corps vêtu de noir ; face contre terre, plié dans une position inconfortable, les photographies de son action témoignent de la place réservée à l’homme dans un pareil système.
Peintures figuratives, installations, performances, nous pourrions multiplier les exemples de démarches ne relevant pas de la peinture abstraite qui portent un regard critique sur certains aspects de ce registre. Mais qu’en est-il des artistes qui s’inscrivent dans cet héritage ? Apparue dans les années 1910 en Europe, répandue au point d’être accusée d’académisme dans les années 50 aux États-Unis, la peinture abstraite est aujourd’hui une possibilité parmi d’autres, une démarche dont les enjeux et modalités diffèrent de ceux qui ont accompagné sa naissance. « Pourquoi et comment continuer l’abstraction aujourd’hui ? ». Pour répondre à cette double interrogation, nous irons à la rencontre de peintres qui utilisent fréquemment le mode de composition emblématique de la naissance de l’abstraction en peinture à savoir la grille. C’est en analysant avec eux les déformations qu’ils font subir à cette forme que nous tenterons de saisir les contours de l’abstraction contemporaine.